Avec la fin de la guerre froide, un nouveau monde multipolaire plus complexe et plus instable s’est progressivement installé sur la scène internationale. Si l’affrontement avec la Russie n’a pas disparu, comme en témoigne l’actuelle crise ukrainienne, c’est cependant la confrontation entre les États-Unis et la Chine qui devient le point central de tension dans les relations internationales, avec une intensité différente de celle de la guerre froide compte tenu de sa nature à la fois économique et militaire.
Ainsi, les États-Unis peuvent légitimement s’inquiéter de perdre à terme leur avance technologique et économique. C’est là, où la rivalité dintérêts économiques, commerciaux, militaires ou encore culturels entre Washington et Pékin, trouve son expression la plus forte.
Face à cette situation, l’Europe paraît ignorée, absente, dépassée. Balançant comme trop souvent entre inaction et discours emphatique, les Européens semblent se résoudre au rôle de spectateurs de leur propre déclin.
Désormais, l’Amérique met en avant sa volonté de défendre avant tout, les intérêts américains et entend ignorer les responsabilités que lui imposait son statut de champion du camp occidental. Elle ne défend plus ni principe, ni valeur comme on le voit dans la triste affaire Kashoggi ; elle n’a plus ni allié, ni ami comme les Européens en font l’expérience au quotidien ; elle rejette toute forme de diplomatie multilatérale et les décisions de retrait de la COP 21, de l’accord nucléaire iranien ou des accords commerciaux signés par les prédécesseurs de Trump, ne laissent guère de doute à cet égard.
Pour autant, il ne s’agit pas pour les États-Unis de laisser un vide sur la scène internationale. Les prises de position de ses dirigeants, l’activisme de sa diplomatie et son engagement dans les crises en cours sont loin d’indiquer un retrait de l’Amérique des affaires du monde. Mais, cette action internationale se mène en solitaire et ne laisse aux Européens que le choix entre suivre la ligne des États-Unis ou subir la colère et les menaces de sanction de la part de Washington.
Cette Europe déboussolée doit aussi affronter les bouleversements de l’ordre mondial, eux-mêmes issus en large partie du retrait américain, avec un triple effet.
Plus aucun des États membres de l’Union européenne n’échappe désormais à la révolte des laissés pour compte de la globalisation et cette vague de colère s’en prend tout particulièrement aux politiques menées par l’Union européenne auxquelles on reproche un manque de protection contre les retombées de la globalisation. Cette mobilisation atteint désormais tous les domaines d’action de l’Union européenne, de l’immigration à la politique de rigueur budgétaire, les accords commerciaux, la lutte contre les changements climatiques et jusqu’aux principes et règles de l’État de droit.
Entre une Amérique qui a perdu de vue sa vocation universelle et une Chine soucieuse de promouvoir les règles d’un nouvel ordre mondial en phase avec ses intérêts, l’Europe voit bien qu’elle risque d’être le grand perdant de l’affaire.
Entre les deux puissances globales, États-Unis et Chine, désireuses chacune à sa manière et selon ses intérêts propres de façonner le nouvel ordre mondial, l’Europe paraît a priori bien mal lotie pour se joindre à ce « concert des Grands ». Elle reste divisée et doute d’elle-même face à un monde fracturé qui n’est pas son terrain d’action naturel, selon un article publié dans le « Rapport Schuman.
Une difficile « troisième voie » française
Le pacte de défense Aukus, conclu entre Canberra, Londres et Washington, et négocié dans le dos de Paris, a mis en lumière les limites du positionnement de la France, dans un contexte de rivalité grandissante entre les Etats-Unis et la Chine, explique Philippe Ricard.
Cette alliance annoncée le 15 septembre a fait voler en éclats le partenariat tissé de longue date entre la France et l’Australie, autour de la vente de sous-marins conventionnels, un contrat lui-même considéré comme emblématique de la présence française dans lIndo-Pacifique.
Le revers a été brutal, déclenchant une colère noire à Paris. Il a aussi mis en lumière les limites du positionnement de la France, dans un contexte de rivalité grandissante entre les Etats-Unis et la Chine : avec Aukus, Joe Biden a porté un rude coup aux efforts déployés par Paris pour tenter de mener une politique autonome face à Pékin, quitte à prendre ses libertés avec les choix de Washington.
L’idée de faire prévaloir les intérêts français est dautant plus forte que Paris se méfie de lescalade, voire des risques daffrontement, entre les deux puissances, dans une ambiance parfois considérée comme une «nouvelle guerre froide».
 Pour la diplomatie française, la Chine doit à la fois être considérée comme un partenaire sur les sujets mondiaux, notamment la lutte contre le réchauffement climatique, et comme un «rival systémique» contre lequel il faut savoir «montrer les muscles quand cest nécessaire», précise un représentant français. «Mais lescalade militaire en Indo-Pacifique ne dit rien aux Européens : même sils se sentent plus proches des Etats-Unis, ils ne veulent pas se laisser embarquer dans une compétition militaire sino-américaine», explique Jean-Marie Guéhenno, ancien secrétaire général adjoint des Nations Unies et professeur à l’université Columbia.
USA, un rival et un partenaire à détrôner pour la Chine
Pour Jean-Marc Four et Franck Ballanger cest la relation bilatérale la plus importante au monde. De son évolution dépendent presque tous les équilibres mondiaux, la guerre, la paix. Comment la Chine va-t-elle aborder sa relation avec les États-Unis maintenant que Joe Biden s’est installé à Washington ?
Pendant les quatre années de l’administration Trump, la relation entre les deux pays sest tendue, sur fond daffrontement commercial. Mais, cette évolution nest pas uniquement liée à Donald Trump. Elle est structurelle.
Sur les routes de la soie
La Chine veut aujourd’hui retrouver cette puissance perdue avec un désir de revanche sur les humiliations subies à cette époque, en particulier lors des guerres de l’opium. Le retour de la puissance, aujourdhui, est donc un juste retour à lordre des choses. Et une revanche contre la « semi colonisation » imposée par lOccident au XIXe siècle.
A l’inverse, les États-Unis sont perçus par la Chine comme une puissance récente. Et cest vrai, au regard de l’Histoire, ils ne dominent que depuis la deuxième moitié du XXe siècle. Ils ont dabord été des alliés, pendant la Seconde Guerre mondiale, puis des rivaux, via les guerres par procuration de Corée et du Vietnam. Et depuis les relations ont des hauts-la reconnaissance officielle de la Chine par Washington en 1979 – et des bas, comme la guerre commerciale sous Trump.
La Chine voit les États-Unis comme un rival quelle veut supplanter, et aussi comme un partenaire toujours indispensable pour avancer, notamment sur les nouvelles technologies et le numérique.
Toute la stratégie chinoise désormais, est de limiter progressivement cette dépendance aux États-Unis. En développant sa consommation intérieure. En initiant son projet de « Nouvelles routes de la Soie » vers le Moyen-Orient, lEurope, lAfrique. Et en signant de nouveaux partenariats commerciaux, comme ces dernières temps, avec l’Europe et avec ses voisins de la zone Asie Pacifique.
Et le pouvoir chinois na aucune intention de rendre des comptes aux États-Unis sur les questions de démocratie ou de liberté, sur Hong Kong ou les Ouighours, a fortiori après ce qui sest passé au Capitole de Washington.
LOMC peut-elle jouer un rôle ?
La réforme de lOMC pourrait former la première étape dune offre de médiation de l’UE dans le conflit commercial qui oppose les Etats-Unis et la Chine, écrit le chroniqueur François Nordmann.
On sait que les principaux griefs adressés à Pékin par Washington ont trait aux aides dEtat dont bénéficie l’industrie chinoise-dont 40% sont en mains de lEtat, au transfert forcé de technologie, enfin à la concurrence déloyale dans le secteur de léconomie numérique. Pascal Lamy, ancien directeur général de lOMC, considère que si les pressions bilatérales ne produisent pas de résultat, il faudra en revenir au multilatéralisme. Le recours à lOMC implique au préalable une réforme de linstitution.
Synthèse M.S.