L’histoire mouvementée des Mistral russes devenus égyptiens
Vendus à la Russie, mais jamais livrés pour cause de sanctions européennes, les deux navires iront finalement en Egypte. De lavis de Pierre Demoux, cest un véritable feuilleton chaotique.
Le « Vladivostok » est l’un des deux Mistral construits par DCNS pour la Russie.
Entre 2011, date de laccord signé entre Moscou et Paris pour la livraison de deux navires de guerre, et lannonce de leur rachat par lEgypte, le sort des Mistral aura beaucoup bougé à défaut pour les navires de quitter les chantiers de DCNS.
2011 : Moscou et Paris signent le contrat
Les Présidents français, Nicolas Sarkozy, et russe, Vladimir Poutine, signent un contrat qui prévoit la fourniture de 2 porte-hélicoptères Mistral, construits par le groupe DCNS, pour un montant estimé à 1,2 milliard deuros. La livraison est alors prévue pour novembre 2014.
Novembre 2014 : la France reporte la livraison.
A l’automne 2014, lescalade de violence en Ukraine pousse Paris à reporter la décision de livrer ou non les Mistral à Moscou, alors que les Occidentaux ont prononcé depuis juillet un embargo sur les livraisons darmes à Moscou, en représailles à lannexion de la Crimée. Après des semaines dhésitation, l’Elysée annonce le 25 novembre le report « jusquà nouvel ordre » de la livraison au motif que la situation en Ukraine orientale « ne permet toujours pas » cette vente. Une suspension sans précédent pour lindustrie militaire française depuis une décision du général De Gaulle au détriment dIsraël en 1967. Après avoir dabord menacé de porter plainte contre la France, auprès dune cour internationale d’arbitrage en cas de rupture de contrat, Moscou se ravise quelques mois plus tard.
Décembre 2014 : les marins russes quittent Saint-Nazaire
DCNS annonce que 400 marins russes, qui étaient en formation depuis plusieurs mois au port de Saint-Nazaire sur le premier Mistral, le « Vladivostok », quittent la France suite au report de la livraison. Le deuxième navire, le « Sébastopol », effectue sa première sortie en mer quelques mois plus tard, en mars 2015
Printemps 2015 : négociations en coulisses sur le dédommagement
Alors que la situation en Ukraine senlise depuis lhiver, les discussions entre Paris et Moscou sur la question de lavenir des Mistral navancent pas. En coulisses, juristes et commerciaux saffrontent sur le dédommagement dû par Paris à Moscou : les Français proposent un remboursement de 785 millions deuros, mais le Kremlin estime le préjudice à plus de 1,16 milliard, en prenant en compte les dépenses annexes (formation des équipages et construction dhélicoptères spécifiques). Vladimir Poutine prévient que les pertes subies doivent être remboursées. Il refuse aussi toute revente future. DCNS, de son côté, continue dassurer lentretien courant des navires, qui coûte entre 1 et 2 millions deuros par mois…
Août 2015 : un accord est trouvé
Le 5 août, après des mois de négociations, un accord est trouvé entre les deux parties. Le gouvernement verse 949,7 millions deuros à la Russie. Un chèque qui correspond aux avances déjà versées par Moscou (893 millions), auxquelles sajoutent 56,7 millions pour rembourser les frais dentraînement des soldats russes. Pour la France, le pire est évité : la réclamation de pénalités de retard et un long contentieux avec des recours en arbitrage, au cours desquels les chances françaises déchapper à une condamnation étaient minces. Et elle récupère la pleine propriété des navires et donc le droit de les revendre. Mais, la France na ni les besoins, ni les moyens de soffrir deux nouveaux Mistral. Elle doit donc trouver un repreneur.
Septembre 2015 : l’Egypte rachète les deux navires
Alors que laccord signé en août et le 17 septembre, les clients potentiels pour le rachat des navires sont nombreux : Arabie Saoudite, Singapour, Inde… Cest finalement lEgypte qui emporte la mise, a annoncé ce mercredi lElysée. Un accord qui intervient dans un contexte de rapprochement avec Le Caire, qui a récemment signé plusieurs contrats darmement importants avec lindustrie française de larmement, dont une commande de 24 avions Rafale. Dans la foulée, la Russie annonce la vente à l’Egypte de matériel militaire, dont des hélicoptères adaptés aux Mistral…
Le Caire verserait 950 millions deuros—ce qui a permis à François Hollande daffirmer que toute laffaire nentraînerait pas de pertes financières pour la France—et la livraison est prévue pour mars. Reste maintenant à DCNS à réaliser quelques travaux d’adaptation sur ces bâtiments construits pour les besoins spécifiques de l’armée russe, avec notamment des équipements prévus pour les eaux très froides. Pas sûr que l’Egypte en ait besoin de sitôt.
L’Egypte conclut l’achat des deux navires Mistral avec la France
La France et l’Egypte ont signé le contrat d’achat de deux navires de guerre Mistral, dont la vente à la Russie avait été annulée.
Achat des Frégates Mistral non livrés à la Russie
L’entourage de Manuel Valls l’a assuré à l’AFP, ce samedi 10 octobre. Les deux navires Mistral que la France avait refusé de vendre à la Russie ont été achetés par l’Egypte. Le protocole d’achat a été signé dans la journée, ont révélé les proches du Premier ministre.
Une vieille affaire
Voilà une bonne chose de faite pour le gouvernement français, qui traînait ce boulet depuis le mois de novembre 2014. Fort heureusement, la France avait un plan B. Et qu’importe si l’Egypte a assez peu d’intérêt à acheter des bâtiments spécialement équipés pour supporter le grand froid (les Mistral disposent de ponts chauffants), l’essentiel était de résorber le gouffre financier que supposait l’entretien de ces navires (cinq millions d’euros par mois).
Une opération blanche pour la France ?
En septembre dernier, l’entourage du ministère de la Défense, après une rencontre entre François Hollande et le général Sissi, le Chef d’Etat égyptien, avait indiqué que le contrat s’élèverait à 950 millions d’euros. Assez pour rembourser la France ou presque, si on écoute le gouvernement qui, au moment où il négociait avec la Russie, assurait que le coût total pour la France n’excéderait pas 1,2 milliard d’euros.
Mais, si l’on en juge par d’autres sources, le Canard enchaîné en particulier, la douloureuse pourrait être plus salée. Le palmipède du 12 août 2015 avait évoqué une perte supérieure à 2 milliards d’euros.
                         Synthèse H.C