Accentuation de la compétition en Afrique entre grandes puissances. Alors que s’opère un mouvement profond de renouvellement des grands équilibres géopolitiques, le continent africain fait désormais l’objet dune attention renouvelée, tant des puissances traditionnelles qu’émergentes. Il ne sagit plus seulement d’y sécuriser un accès à des ressources naturelles et à des marchés portés par la démographie galopante, mais aussi d’attirer dans son camp le plus grand nombre possible d’États africains, dans lobjectif de peser davantage sur la scène internationale et possiblement dimposer son « modèle » de gouvernance.
Or, face aux avancées russes et chinoises, la diplomatie américaine sonne la mobilisation générale. Il lui faut reprendre piéds dans un espace géographique qu’elle a eu tendance à reléguer au second plan ces dernières années. À cet effet, l’administration Biden a présenté cet été, le 8 août 2022, la « Stratégie américaine envers l’Afrique subsaharienne ». Après les réussites très relatives des politiques africaines des deux précédents Présidents, Barak Obama et Donald Trump, ce document redéfinit donc l’approche des États-Unis vers le continent.
Le sommet américano-africain (U.S. Africa Leaders Summit) devrait  marquer une nouvelle étape dans la relation entre l’Afrique et les États-Unis. Toutefois, des doutes ont émergé quant aux résultats à attendre de cette rencontre, notamment au regard du décalage entre les objectifs affichés dans le document de stratégie et les moyens qui seront consacrés par les États-Unis pour les atteindre.
Pour l’Europe, la réalité et les conséquences possibles de cet intérêt renouvelé de Washington pour le continent africain sont à analyser finement. Elles pourraient bien accentuer la compétition en Afrique entre grandes puissances et aggraver davantage les tensions locales, avec les effets induits pour la stabilité et le développement de l’Union européenne.
Contexte international de tensions renouvelées Washington considère lAfrique comme une priorité essentielle de la politique étrangère américaine. En outre, dorénavant, le continent africain a un rôle à jouer dans le règlement des grands dossiers internationaux. Manifestement, il sagit-là dun changement de ton et de style dans la manière dadresser cette partie du monde, jusqu’alors davantage perçu par les États-Unis comme un acteur passif, objet de luttes menées entre grandes puissances rivales.
En cela, force est de constater que la « nouvelle » stratégie américaine pour l’Afrique ne fait ni dans loriginalité ni dans la rupture. Dans une certaine mesure, elle pourrait même se poser en concurrente de l’action de lUE, en visant des domaines d’action proches tels que le numérique et la transition énergétique. Or, comme il sera démontré plus loin, une compétition avec les États-Unis arriverait au plus mauvais moment pour l’UE. Elle  ne peut plus se tourner vers l’Ukraine et la Russie ni pour ses approvisionnements, ni comme débouchés commerciaux pour ses produits et services.
« Désaccords majeurs« 
Le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg a déploré les « désaccords majeurs » opposant les Etats-Unis aux Européens et au Canada sur le commerce et l’accord nucléaire avec l’Iran et exprimé l’espoir qu’ils n’obèrent pas les réunions préparatoires à l’important sommet de l’Alliance à Bruxelles.
« Tant que les problèmes perdurent, je me dois d’en limiter les conséquences délétères sur l’Alliance », a expliqué M. Stoltenberg lors d’une conférence de presse à la veille d’une réunion à Bruxelles des ministres de la Défense des 29 pays membres chargée de préparer le sommet de l’Alliance.
Le ministre américain de la Défense Jim Mattis, arrivé dans la capitale belge, tente de rassurer les alliés : « Les guerres commerciales ont un effet sur les relations sécuritaires », a-t-il reconnu.
« Mais, à l’heure actuelle, ce n’est pas ce que je constate et je pense qu’il est encore prématuré d’appeler ça une guerre commerciale parce que les choses vont évoluer », a estimé M. Mattis.
Le ministre canadien de la Défense Harjit Sajjan a déjà fustigé l’attitude du voisin américain, lors d’un forum de sécurité à Singapour, et entend en discuter avec ses homologues de l’Otan.
« Je vais me faire entendre. Considérer le Canada comme un risque pour la sécurité nationale (américaine) à cause de l’acier est plus que ridicule », a-t-il jugé.
Les Etats-Unis sont en froid avec leurs alliés européens et canadien après la décision du président Donald Trump d’imposer de lourdes taxes sur les importations d’acier et aluminium d’Europe, du Canada et du Japon pour des motifs de sécurité nationale.
Un autre sujet de différend est la décision de Washington de rompre l’accord sur le nucléaire conclu avec Téhéran en 2015 et de réimposer des sanctions économiques contre l’Iran qui vont contraindre les grandes entreprises européennes à quitter ce pays.
« Il y a des désaccords majeurs sur des questions importantes, mais il est important de poursuivre et de renforcer le partenariat en matière de sécurité », a plaidé le chef de l’Otan. « Il est important de ne pas affaiblir le lien transatlantique », a-t-il insisté.
La coopération avec les initiatives de l’Union européenne en matière de défense et le partage de l’effort avec l’augmentation des dépenses seront deux autres points de friction potentiels avec les Américains au cours de la réunion.
Quatre grands piliers d’action pour engager l’Afrique
Dans le détail, au regard de leurs intérêts de sécurité nationale, et de la compétition globale qu’ils livrent tant à la Chine quà la Russie et peut-être même à l’Union européenne, les États-Unis ont défini quatre objectifs principaux en Afrique subsaharienne.
Le premier vise à favoriser l’ouverture et des sociétés ouvertes. Pour ce faire, la diplomatie américaine souhaite promouvoir la transparence des gouvernements et développer la responsabilité des dirigeants locaux. De même, elle aspire à soutenir la justice, l’état de droit et la dignité sur le continent. Enfin, une aide sera apportée pour favoriser l’exploitation transparente des ressources naturelles en vue dun développement durable. Dans les faits, l’atteinte de cet objectif doit permettre aux États-Unis de « … contrer les activités préjudiciables de la République populaire de Chine, de la Russie et dautres acteurs ».
Le second grand objectif de la stratégie ambitionne d’aider lAfrique à produire des dividendes démocratiques et sécuritaires. Cela passe par une coopération accrue avec les alliés et partenaires des États-Unis pour contenir la montée de l’autoritarisme et la prise de pouvoir par des militaires. Il faut ajouter un soutien à la société civile, une meilleure prise en compte des voix des femmes et des jeunes ainsi que la défense d’élections libres et équitables. De même, Washington aspire à améliorer la capacité des partenaires africains à promouvoir la stabilité et la sécurité régionales, et souhaite réduire la menace des groupes terroristes pour les États-Unis.
A rappeler que Washington a renforcé sa présence militaire au Niger, qui lui a permis de construire une base importante à Agadez (proche de la Libye). Ce site, hébergeant des systèmes de drones aériens, permet aux États-Unis de disposer dune plateforme de surveillance de premier plan au Sahel. Il vient soutenir le dispositif au Camp Lemonnier, la plus importante garnison militaire américaine sur le continent. Proche de l’aéroport international de Djibouti, cest de cette zone que dautres drones partent, ceux qui visent al-Qaïda dans la péninsule arabique au Yémen et les insurgés islamistes Shebab en Somalie.
Le troisième objectif de la stratégie doit aider à faciliter le rétablissement post-pandémie et favoriser les opportunités économiques. Pour les États-Unis, il faut soutenir les politiques et programmes permettant de mettre fin à la phase aiguë de la pandémie de COVID-19, tout en favorisant les mesures pour se préparer à la prochaine menace sanitaire. Dans ce contexte, il sagit de soutenir les initiatives de fabrications pour les vaccins et autres mesures de riposte médicale. Sur le plan économique, différentes initiatives peuvent aider à une croissance plus forte et à réduire la dette dont le Partenariat pour linfrastructure et l’investissement mondiaux (PGII), Prosper Africa, Power Africa et Feed the Future.
Le quatrième et dernier objectif se concentre sur la réponse aux défis posés par le changement climatique en favorisant la « protection de l’environnement, ladaptation au climat et une transition énergétique juste ». Sur ce point, le document de stratégie note que « Bien que la région soit responsable démissions extrêmement faibles par habitant, elle risque de subir certains des effets les plus graves du changement climatique ». Pour les États-Unis, il est donc nécessaire de nouer des partenariats avec les gouvernements, la société civile et les communautés locales, pour préserver, gérer et reconstituer les écosystèmes naturels du continent.
À défaut de surprendre sur le fond, la nouvelle stratégie américaine soulève donc plusieurs questions, dont lune tient à son calendrier de publication.
Objectivement, au regard de la situation sur le continent, et en particulier de la percée chinoise et russe, n’est-il pas trop tard pour un retour en Afrique des États-Unis, au-delà des points d’appui dont ils disposent déjà comme le Nigeria, le Kenya, lAfrique du Sud et le Maroc ? En outre, ce continent est-il en demande dun rapprochement avec les États-Unis ? S’il attire toujours, l’American dream (rêve) a perdu de sa superbe pour une partie de la population africaine, notamment de sa jeunesse. Très connectée, celle-ci a pu suivre les événements au Capitole et le retrait des boys d’Afghanistan, témoignant des limites de la toute-puissance militaire et du « modèle » démocratique américains. Dans le même temps, les opinions africaines ont vu saffirmer dautres acteurs. Certains d’entre eux sont parvenus à imposer leur narratif dun Occident nécessairement prédateur et irrémédiablement sur le déclin. Dans ce contexte peu favorable, les États-Unis devront redoubler defforts pour se repositionner.
Vu de l’Europe, l’intérêt renouvelé des États-Unis pour l’Afrique nest pas nécessairement une bonne nouvelle. Il pourrait entraîner davantage de concurrence et donc de tensions sur un continent qui connaît déjà des difficultés endémiques, sous leffet conjugué de facteurs endogènes et exogènes. Qui plus est, l’Europe doit-elle aussi réussir sa propre transition énergétique, organiser ses réponses face au changement climatique et aux crises qui la traversent (sociale, sanitaire, financière…). Or, elle ne peut le faire sans prendre en compte la situation de ses voisins et de ses partenaires, en particulier en Afrique. Lavenir de lEurope et du continent africain est étroitement imbriqué. Dès lors, toute déstabilisation ou succès de l’un aura nécessairement un impact sur lautre.
Synthèse H.A