La reine d’Angleterre Élizabeth II est décédée à 96 ans ce 8 septembre en sa résidence écossaise de Balmoral. Couronnée en 1952, elle était une légende vivante, y compris en Afrique, continent qu’elle avait découvert dès 1947.
Soixante-dix ans qu’on ne voyait qu’elle, depuis la retransmission mondiale à la télévision de son sacre, hiératique jeune femme de 27 ans portant une couronne
trop lourde pour son cou et ses épaules frêles. Soixante-dix ans qu’on scrutait, un brin moqueur, ses chapeaux extravagants et qu’on se demandait ce qu’elle pouvait bien fourrer dans son éternel sac à main. Soixante-dix ans qu’on la voyait sillonner le monde, inaugurer des institutions, recevoir des chefs d’État, décorer des
personnalités – plus de 400 000 au total, car, disait-elle, « tout le monde aime être encouragé par une tape dans le
dos ». Appliquée à la tâche, stoïque en toutes circonstances, qu’il fasse plus de 40° à l’ombre (elle ne transpirait jamais) ou qu’un fou, déjouant les mesures de
sécurité, se fraie un chemin jusque dans sa chambre à coucher, Sa Gracieuse Majesté, 96 ans, n’en finissait pas de nous intriguer. Mais, ce 8 septembre, Élizabeth s’est
finalement éteinte, en la résidence royale de Balmoral, en Écosse.
Avant d’être cette digne vieille dame à jupes plissées, elle fut la petite Lilibet. La « plus grande fierté » de George VI, son père. Lorsque cet homme timide et bégayant est
appelé à régner « par accident » après qu’Édouard VIII, son frère, a renoncé au trône pour épouser une roturière
américaine deux fois divorcée, on commence à regarder la fillette de 10 ans d’un autre oeil. « Il émane d’elle un air
d’autorité et de sérieux étonnant chez un enfant de 2 ans », s’étonnait déjà Winston Churchill, pourtant peu enclin à
s’extasier devant des chérubins. Une vingtaine d’années plus tard, devenu son Premier ministre, il se dira de
nouveau frappé par l’attention que cette jeune femme porte aux affaires de l’État et par sa compétence. « De tous mes Premiers ministres, Winston fut le plus drôle »,
confiera de son côté la reine, qui partageait avec lui la passion des courses de chevaux et ordonna des funérailles nationales pour honorer la mémoire du héros de la Seconde Guerre mondiale.
Premiers pas de princesse
Années 1939-1945. L’adolescente grandit dans les châteaux de Windsor, dans le Berkshire, et de Balmoral, dans la campagne écossaise, entre gouvernantes, poneys et chiens corgis, dont elle raffole, pendant que ses parents restés à Londres essuient courageusement les
bombardements allemands. Élisabeth apprend le métier :
cours de français (qu’elle parle couramment), de
mathématiques (où elle ne brille guère), de droit
constitutionnel (où elle excelle) et de mécanique (elle
apprend à réparer des véhicules militaires). Elle fait ses
premiers pas de princesse en présentant ses
condoléances aux familles des grenadiers tués au combat.
À 13 ans, elle s’éprend de Philip Mountbatten, son lointain
cousin de cinq ans son aîné. Lorsqu’en 1946 il la
demande en mariage, elle accepte sans consulter ses
parents. C’est sa première décision d’importance. Elle a
20 ans.
Quatre enfants (Charles, Anne, Andrew et Edward), dont
les frasques feront par la suite les joies de la presse
people, naissent de cette union apparemment sans
nuages. Encore que… Interrogé en 1992 sur ce qu’il
pensait de sa vie, le prince Philip répondit tout à trac : «
J’aurais bien mieux fait de rester dans la Navy. » Mais
faut-il accorder de l’importance aux saillies du duc
d’Édimbourg, éminent spécialiste des blagues douteuses à
l’adresse des Africains, Papouasiens, Jamaïcains, Chinois
et autres Écossais ? Le quotidien The Independent en a
d’ailleurs établi la malicieuse recension à l’occasion du
jubilé de son épouse.
L’Afrique, encore
Février 1947. Le premier voyage de la princesse Élisabeth
la mène en Rhodésie et en Afrique du Sud, sur fond de
fortes tensions politiques. George VI apporte un discret
soutien au Premier ministre Jan Smuts, un Afrikaner
éduqué au Royaume-Uni qui s’efforce d’améliorer les
conditions de vie de la majorité noire. Ce dernier perd
bientôt les élections face aux partisans de la ségrégation
raciale. Élisabeth ne reviendra en Afrique du Sud qu’en
1995, alors que Nelson Mandela en est devenu le
président. Une longue abstention qui marque son désaveu
– implicite mais clair – de ce que fut l’apartheid.
Février 1952. L’Afrique, encore. C’est au Kenya, où cette
passionnée de vidéo filme des éléphants, qu’elle apprend
le décès de son père. « Pâle et inquiète », comme l’écrit
Sally Bedell Smith, l’une de ses biographes*, elle regagne
Londres. « Son couronnement contribuera peut-être à
mettre fin aux injustices dont sont victimes les femmes
qui aspirent aux plus hautes fonctions », écrit Margaret
Thatcher, qui n’est alors qu’une jeune pousse du Parti
conservateur. S’ensuivra pour Élisabeth toute une vie consacrée à la fonction royale. La très croyante souveraine, qui priait à genoux tous les soirs devant son
lit, considérait sa mission comme un sacerdoce, excluant d’abdiquer un jour au profit de son fils Charles (73 ans
aujourd’hui).
Sauver le Commonwealth
Tous les jours, elle épluchait sa correspondance, prenait
connaissance des dépêches diplomatiques et des projets de loi. Une fois par semaine, elle recevait le Premier ministre pour s’entretenir des affaires du moment. Elle en a connu pas moins de quinze, conservateurs (Churchill,
Thatcher, Major) ou travaillistes (Wilson, Blair). Tous ont apparemment apprécié leurs entretiens avec cette femme
qui maîtrisait à la perfection les arcanes du pouvoir sans jamais se départir de son calme ni sortir de son rôle constitutionnel. La reine n’approuvait ni ne désapprouvait aucune mesure gouvernementale. Tout au plus devinait-onqu’elle jugeait peu judicieuse l’intervention franco-britannique à Suez (1956). Elle apportait en revanche un soutien appuyé à la guerre des Malouines contre l’Argentine (1982) en envoyant son fils Andrew au combat.
L’importance qu’elle attachait au Commonwealth était, elle, pleinement assumée. Très soucieuse de maintenir sa cohésion, elle avait réussi à nouer au fil des années d’étroites relations avec les chefs d’État des pays membres, notamment africains. À l’occasion, elle contribua à apaiser les tensions suscitées par ses Premiers ministres, comme à l’époque où Edward Heath et Margaret Thatcher s’obstinaient, l’un à vendre des armes, l’autre à ne pas imposer de sanctions à l’Afrique du Sud ségrégationniste, au risque de voir certains pays africains claquer la porte de l’organisation. « Sans le leadership de la reine et son exemple, beaucoup d’entre
nous seraient partis », confirme Kenneth Kaunda, le premier président de la Zambie indépendante, qui, avec
Nelson Mandela, est le seul dirigeant au monde à l’appeler par son prénom.
Fine mouche
Cette mère absente et lointaine (à en croire son fils Charles, qui s’en plaignit amèrement), cette femme qui ne montrait jamais ses émotions en public et manifestait en toutes circonstances une prudence de Sioux n’hésitait pas
à jouer de sa féminité à des fins diplomatiques. En 1961,
persuadée qu’il ne faut pas laisser le champ libre à l’Union soviétique en Afrique (on est alors en pleine guerre froide), elle passait outre à l’avis de ses conseillers et se rendait au Ghana pour dissuader le président Kwame Nkrumah de s’allier avec Moscou et de sortir du Commonwealth. Elle le charmait en valsant avec lui lors d’un bal. On la verra se trémousser sur une piste de danse, de manière plus enthousiaste, en 1996, lors de la visite de Mandela au Royaume-Uni. « Elle est devenue la psychothérapeute du Commonwealth », plaisantait le prince Philip.
Fine mouche, la reine ? Yes, indeed ! « Lors de notre premier entretien hebdomadaire, elle m’a posé une question sur la balance des paiements. Incapable de lui répondre de manière précise, je me suis senti comme un écolier qui n’a pas appris sa leçon », raconta un jour Harold Wilson. « Dans une autre vie, elle aurait pu être une
femme politique ou une diplomate de premier plan. Elle est devenue les deux », confirmait Bill Clinton. « Elle aurait été un exceptionnel entraîneur de yearling », renchérit un spécialiste du monde hippique. « On met longtemps à la connaître vraiment », résumait l’un de ses proches.
Comme un yack
En privé, Sa Majesté était plutôt une femme pratique, plus terrienne qu’intellectuelle (elle lisait assez peu, surtout des romans historiques). Mais elle pratiquait ce délicieux humour qui a fait la réputation de l’Angleterre et parlait comme une Italienne, en bougeant les mains. Intrépide, elle montait encore à cheval à plus de quatre-vingts ans, sans bombe sur la tête, et n’attachait jamais sa ceinture de sécurité quand elle conduisait encore, trop vite, dans sa propriété de Balmoral.
Malgré quelques controverses touchant à la vie privée de ses enfants et au train de vie de sa famille, elle n’avait jamais cessé d’être populaire. « Elle a deux atouts majeurs, confiait l’un de ses proches. Un, elle dort très bien ; deux, elle a de très bonnes jambes et peut rester debout longtemps : elle est costaude comme un yack. »
Élisabeth a finalement rendu les armes ce 8 septembre. La reine avait 96 ans.
Article publié le 12 juin 2012, mis à jour le 8 septembre 2022
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