APRES LA TEMPETE, Y A-T-IL UN PARTENARIAT SÛR ENTRE EUROPEENS, AMERICAINS ET TURQUES ?

Après une année de tensions, les responsables turcs ont multiplié les appels au dialogue avec les Européens pour régler les sujets délicats, qui, outre la dispute maritime gréco-turque en Méditerranée orientale, portent notamment sur le rôle de la Turquie dans les conflits en Syrie, en Libye et plus récemment au Nagorny Karabakh, selon l’AFP.
Les dirigeants européens ont demandé au Président turc des actes pour démontrer sa volonté d’apaisement, notamment en lien avec son contentieux vis-à-vis de la Grèce et de Chypre, le retrait de ses troupes de Libye et le respect des droits fondamentaux
Les dirigeants de l’Union Européenne attendus en Turquie ont tenté d’impulser un nouveau départ aux relations entre Ankara et Bruxelles après des mois de tension et la récente promesse turque de promouvoir un « agenda positif ».
« Agenda positif »
Les autorités turques soulignent leur volonté de procéder à des pourparlers « positifs », en focalisant sur des actions concrètes à mener en ce qui concerne l’immigration.
Mais les dirigeants de l’UE ont prévenu que le maintien de « l’agenda positif », si cher à Ankara, dépendait de la capacité de M. Erdogan à démontrer qu’il demeure un ‘’partenaire fiable’’.
La politique de l’apaisement menée depuis peu par la Turquie survient en effet alors qu’Ankara s’inquiète d’un possible durcissement américain à son égard, avec l’entrée en fonctions d’une nouvelle administration démocrate à Washington.
En guise d’encouragement à la Turquie, l’UE s’est dite prête à engager la modernisation de l’Union douanière, à reprendre le dialogue à haut niveau suspendu en 2019 sur certains sujets comme la sécurité, l’environnement ou la santé, et à accorder certaines facilités de visas pour les ressortissants turcs.
Ankara attend une modernisation de l’accord de l’Union douanière signé en 1995 et une mise en avant de la vocation de la Turquie à rejoindre l’UE en tant que pays candidat, a affirmé une source diplomatique à l’AFP.
Selon la même source, Ankara souhaite aussi le renouvellement de l’accord signé en 2016 avec l’UE et ayant permis de réduire considérablement le passage de migrants vers l’Europe depuis la Turquie, qui a reçu en contrepartie une importante aide financière.
La Turquie accueille près de quatre millions de réfugiés et de migrants, en majorité des Syriens.
« L’UE a-t-elle respecté ses engagements ?
Ankara reproche à l’UE de n’avoir versé que 3,7 millions d’euros d’aide pour l’accueil des migrants sur les 6 millions promis. Les autorités turques affirment régulièrement avoir dépensé plus de 40 milliards d’euros pour les réfugiés.
Bruxelles reproche de son côté à Ankara d’avoir arrêté de reprendre les migrants en situation irrégulière sur les îles grecques depuis le début de la pandémie de coronavirus.
Selon Ilke Toygur, une analyste à l’Institut allemand des affaires internationales et sécuritaires, la Turquie cherche une relation transactionnelle avec l’UE. « La Turquie voit un monde multipolaire et divisé où l’influence de l’Occident est en déclin. Elle le voit comme une opportunité pour diversifier ses alliés », a estimé la chercheuse dans un podcast diffusé par son institut.
L’OTAN admet l’existence de « graves préoccupations »
La Turquie a désormais irrité la plupart de ses alliés, en particulier la France, en raison de sa position dans un conflit territorial maritime avec la Grèce, autre membre de l’OTAN, et de son rôle dans les conflits en Syrie, en Libye et dans le Haut-Karabakh.
La Turquie, alliée de toujours des États-Unis et nouveau challenger
L’intense activité de la diplomatie turque, particulièrement au Moyen-Orient, embarrasse depuis quelques années plus d’une puissance établie. Si les Français s’inquiètent de la présence croissante des Turcs sur leurs terrains d’influence arabes, les États-Unis éprouvent quelque difficulté à s’accommoder des ambitions retrouvées d’un allié qui leur fut toujours précieux, mais également de la volatilité nouvelle de ses positions.
Ayant intégré dès 1952 la communauté disciplinée de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) comme puissance régionale d’appui, elle y rendait aux États-Unis des services intermittents, mais rarement négociables, en échange d’un rattachement souple à la sphère de protection américaine.
Les fondements du rapport turco-américain sont d’ordre sécuritaire. La situation géographique de la Turquie définit son importance dans la perception stratégique des États-Unis : Le pays est au carrefour de deux continents et de plusieurs zones d’influence historique – russe, iranienne, etc.
Turquie, un allié traditionnellement remuant
Partenaire stratégique, allié, mais pas forcément ami : C’est ainsi que la Turquie elle-même perçoit les États-Unis, une grande partie de l’opinion turque cultivant un antiaméricanisme de principe qui s’exprime par crises face aux grands événements internationaux. Les sondages d’opinion le démontrent : Le sentiment antiaméricain se renforce étonnamment en Turquie au fil des décennies, nourri d’incidents objectifs et de représentations fantasmées, qui heurtent le nationalisme turc. Imprégnées de culture politique européenne, voire française, les élites kémalistes traditionnelles n’ont jamais considéré les États-Unis comme un modèle de société ou d’organisation politique. Ce sentiment antiaméricain est partagé par la gauche turque, sur fond d’anti-impérialisme et par une bonne partie de l’armée et de la classe politique, qui se sentent négligées par Washington et lui prêtent régulièrement des intentions malveillantes à l’égard de la Turquie. .
Dès les années 1990, l’alliance turco-américaine se consolide en se diversifiant ; la Turquie devient un partenaire multifonctions, pouvant contribuer à la résolution de bon nombre des difficultés diffuses posées par un système international instable. Elle est ainsi pleinement intégrée à l’équation de stabilisation de l’Europe balkanique et participe aux forces de maintien de la paix en Bosnie, au Kosovo, en Macédoine. Mais, c’est le 11 septembre 2001 et ses suites qui la poussent au-devant de la scène, en faisant un protagoniste essentiel des plans de Washington au Moyen-Orient.
Le pacte imprécis : La dérive de la relation turco-américaine
La relation turco-américaine traverse manifestement aujourd’hui une phase de réajustement houleux. Depuis le déclenchement de la seconde guerre du Golfe, accidents, désaccords et mésententes s’accumulent entre la première puissance mondiale et l’aspirant challenger qui a fait du Moyen-Orient le laboratoire de son renouveau économique et diplomatique.
L’Union européenne se trouve en outre dans la situation incroyable de faire semblant de discuter de l’adhésion d’une Turquie qui ne reconnaît même pas la souveraineté d’un de ses membres, Chypre, et qui frôle régulièrement l’incident militaire avec un autre, la Grèce !
Bref, le dossier chypriote « illustre parfaitement la nouvelle efficacité de la politique étrangère turque », une politique rodée d’alternance d’ouvertures et de faits accomplis, de propositions de coopération économique et culturelle et de bluffs militaires. « Erdogan accélère le processus d’autonomisation de la Turquie » en « continuant de se dégager de ses partenaires passés tout en maintenant l’ambiguïté sur ses intentions futures ».
Synthèse H.C