Le sous-marin russe de classe kilo Oufa, arrivé en début d’année en Méditerranée, a connu un déploiement compliqué. Le bâtiment a passé l’essentiel de son temps à quai et, semble-t-il, rencontre de grandes difficultés à passer en phase d’immersion. Quant aux bâtiments de soutien d’apparence civile, ils ont également beaucoup de mal à remplir leur mission. Analyse des contraintes techniques, diplomatiques et militaires rencontrées par la flotte russe en Méditerranée et en mer Noire.
En octobre dernier, RFI vous racontait la saga du sous-marin Krasnodar qui, après de longs mois passés en Méditerranée, avait dû prendre le chemin du retour vers Saint-Pétersbourg sans être remplacé. Un vide comblé le 10 janvier dernier avec l’apparition du sous-marin de classe kilo Oufa dans le port de Tartous, en Syrie.
Une mission qui n’a rien d’un long fleuve tranquille tant l’Oufa semble accumuler des problèmes techniques. Plusieurs signes montrent que le sous-marin est resté cloué à quai à Tartous pendant près de deux mois. Pourtant l’Oufa est un navire récent. Construit par les chantiers de l’Amirauté, l’un des plus vieux chantiers navals de Russie, situé à Saint-Pétersbourg et spécialisé dans la construction de sous-marins à propulsion classique, il a officiellement été mis en service le 16 novembre 2022. Numéro de coque B588. Ce sous-marin de classe kilo était initialement destiné à la flotte du Pacifique.
L’Oufa s’amarre dans le port de Tartous aux alentours du 10 janvier, et vraisemblablement, ne bouge pas jusqu’au 29 février.
Convoi Syrian express
L’Oufa rencontre-t-il des problèmes techniques qui l’empêchent de prendre la mer ? La base navale russe à Tartous est un point d’appui et non pas une véritable base permettant des opérations de maintenance lourdes dans un bassin à sec.
Toujours est-il que le 8 février, un convoi « Syrian express » composé du Yaz (Tanker) du Sparta IV (cargo) du Baltic Leader (Cargo) et du Lady Mariia (roulier) quitte le port russe de Novorossiysk en mer Noire – situé à l’est du détroit de Kerch et de plus en plus utilisé par la marine russe pour échapper aux drones navals ukrainiens. Deux jours plus tard, ce convoi est victime d’une attaque repoussée de drones navals ukrainiens. Il franchit ensuite sans encombre les détroits turcs et arrive à Tartous aux environs du 16 février.
Fin février le compte X  MT Anderson publie une photo satellite provenant d’Airbus DS prouvant la présence à Tartous du sous marin Oufa
Fin février le compte X MT Anderson publie une photo satellite provenant d’Airbus DS prouvant la présence à Tartous du sous marin Oufa © capture d’écran X.
Ces navires sont d’ordinaire destinés à la réparation de navires de guerre en mer Noire, leur arrivée en Syrie serait le signe que le sous-marin Oufa a besoin de pièces de remplacement.
Des problèmes techniques persistants ?
Cela étant, fin février, des signaux indiquent que l’Oufa serait prêt à reprendre la mer. Un NOTAM, une procédure officielle, référencé n°A0118/24 est déposé par la marine russe pour un tir de missile de croisière Kalibr entre le 26 et le 28 février depuis l’Oufa.
Plusieurs comptes X évoquent la mise en place d’une zone de tirs de missiles au large de Tartous (Syrie)
Pourtant, aucun tir n’a été observé, aucune photo ni vidéo n’ont été publiées, alors que ces tirs d’exercice sont généralement très documentés. Il est probable qu’il n’ait donc jamais eu lieu. Quant à l’Oufa, il apparait plus que de raison en surface et toujours escorté d’un navire d’assistance, ce qui le rend très visible pour les marines de l’Otan.
Convoi Syrian express en difficulté ?
Après son escale à Tartous, le convoi  « syrian express » reprend la mer mais se sépare en deux.  Les navires Baltic Leader et Lady Mariia remontent vers le Bosphore. Ils sont aperçus, le 26 février, avant de franchir les détroits. Mais le retour en mer Noire ne semble pas s’être passé comme prévu… Après avoir transité dans les eaux territoriales turques, les deux navires ont trouvé refuge dans le port turc d’Ünye. Depuis le 1er mars, ils n’en ont pas bougé. Sont-ils immobilisés en raison de risques d’attaques de drones navals ukrainiens ?
De leur côté, les navires Yaz et Sparta IV ont été escortés par la frégate Grigorovich, l’un des fers de lance de la marine russe. Dans un premier temps, cette flottille s’est présentée devant les détroits turcs, ils y sont restés 48 heures avant de faire demi-tour pour rejoindre Tartous. Ont-ils tenté de franchir sous escorte militaire le Bosphore, en violation des accords de Montreux, qui régissent le passage du Bosphore en temps de guerre ?
Capture d’écran X d’un compte proche de l’Ukraine évoquant la trajet programmé du Baltic Leader vers Novorossiiski en Russie
Ces trois navires réapparaissent le 15 mars lorsqu’ils franchissent le détroit de Gibraltar, ils sont alors observés par le bâtiment britannique HMS Dagger.
Plusieurs comptes X s’appuyant sur des outils de « tracking naval » en source ouverte rélèvent les positions d’une partie du train de navires Syrian Express quittant la méditerranée,
La marine russe en difficulté en mer Noire
La mésaventure du sous-marin Oufa met en lumière les difficultés que rencontre la marine russe pour ravitailler ses bâtiments en Méditerranée.
La multiplication des attaques ukrainiennes avec les drones navals Meriva fait peser une menace permanente et rend la mer Noire très dangereuse. Et le retour au port militaire de Novorossiysk apparait de plus en plus risqué.
Les observateurs notent que le temps de trajet est multiplié par trois pour ravitailler Tartous depuis Saint-Pétersbourg. Cela oblige aussi la marine russe à déployer ses bâtiments de 1er rang, les plus puissants, à l’instar de la Frégate Grigorivich, pour escorter les navires ravitailleurs, dont certains s’apparentent à des cargos civils.
Ces problèmes sont-ils la cause des derniers changements à la tête de la marine russe ? Difficile de l’affirmer, mais les événements concordent, et les têtes ont valsé au sein de l’Amirauté.
Mardi 19 mars dernier, l’amiral Alexandre Moïsseïev a été présenté comme le commandement « par intérim » de la flotte lors d’une cérémonie avec des équipages de sous-marins, dans le port de Kronstadt. Le 10 mars, des médias russes avaient affirmé, citant des sources anonymes, que le commandant Nikolaï Evmenov avait été démis de ses fonctions par le président Vladimir Poutine.
La nomination d’un nouveau commandant de la marine est annoncée normalement par un décret présidentiel. Selon sa biographie sur le site du ministère de la Défense, Alexandre Moïsseïev, 61 ans, sous-marinier de formation, dirigeait depuis 2019 la « flotte du Nord ».
Contrairement aux forces terrestres russes, qui ont repris initiative sur le front en Ukraine, la flotte russe a dû se replier en mer Noire face aux multiples attaques de drones maritimes et de missiles ukrainiens. Depuis plusieurs mois, la base navale de Sébastopol est régulièrement sous le feu, rendant presque inutilisable ce port éminemment stratégique pour la flotte russe.
                                            Source : RFI